Interview RH : Mathilde Le Coz, Directrice Innovation RH Mazars

Entretien avec Mathilde Le Coz, Directrice Innovation RH Mazars

 

En quelques mots, pouvez-vous nous présenter Mazars et ses effectifs ?
Mazars est un cabinet d’audit et de conseil financier. Le groupe compte 3000 collaborateurs en France, dont 1600 sur le seul site de la Défense, et presque 17 000 dans le monde. Nous sommes présents dans près de 80 pays. En plus de nos activités de commissariat au compte et d’audit financier, nous accélérons depuis quelques années notre développement dans les métiers du conseil.

Chez Mazars, nos effectifs sont plutôt jeunes puisque la moyenne d’âge est d’un peu moins de 30 ans. Cette moyenne d’âge est caractéristique de notre secteur d’activité, puisque l’on constate la même situation chez nos confrères. 80 % des effectifs sont donc issus de la génération dite Y. En France, nous comptons près de 600 recrutements annuels, stagiaires compris.

Vous êtes Directrice de l’Innovation RH. Rien qu’en soi, c’est une fonction innovante.
Effectivement, ma fonction n’existe que depuis deux ans à peine. C’est une mission qui n’existait pas vraiment dans le monde des ressources humaines. J’ai donc été voir ce qui se faisait ailleurs, à la rencontre de gens travaillant autour de l’innovation. J’ai également la chance d’être encouragée par Martin HUERRE, notre DRH France, qui me laisse carte blanche sur le sujet et Laurent CHOAIN, notre DRH Groupe, connu dans le milieu des ressources humaines pour être assez disruptif.

Pour vous, qu’est-ce que l’innovation RH ?
L’innovation RH peut se décomposer en deux principaux chantiers.
Le premier est de travailler à une politique RH plus innovante. Collectivement au sein de l’équipe RH, nous faisons en sorte d’être les plus novateurs possibles en termes de process de recrutement, comme en termes de processus d’évaluation ou de formation. Il y a aussi une facette prospective qui consiste à définir ce que vont être les RH demain. Comment évaluer les compétences ? Quelles sont les nouvelles formes de pédagogie en termes de formation ? Comment attirer les talents en utilisant les médias sociaux, la vidéo… Nous travaillons aussi sur la question de l’innovation en RSE (la Responsabilité Sociétale des Entreprises) en lançant des hackathons ou des marathons de mécénat de compétences pour essayer d’avoir de nouveaux formats qui collent davantage aux attentes des nouvelles générations plus digitales, agiles et mobiles.

Le second chantier consiste à accompagner la conduite du changement en interne, cruciale pour notre avenir. Ce changement est nécessaire car nous avons un facteur générationnel très fort qui fait que nous sommes confrontés beaucoup plus rapidement à l’arrivée massive des nouvelles générations en entreprise avec des attentes qui diffèrent des générations précédentes. Ce changement est d’autant plus nécessaire que nos métiers évoluent avec un tournant important, dû à la législation dans notre domaine et une forte concurrence. Nous ne devons pas uniquement innover dans notre politique RH : pour être plus attractifs, nous devons également innover au quotidien dans notre métier de Commissariat aux comptes, en pensant de nouveaux outils.

Il nous faut orchestrer ces changements dans l’entreprise. Nous sommes convaincus que les RH ont une responsabilité sur l’aspect humain. En effet, la conduite du changement se fait avec des outils et/ou méthodologies, mais aussi, surtout, par le management et le changement de culture. Nous devons faire en sorte que les collaborateurs deviennent aussi acteurs dans cette démarche. Savoir comment passer de l’intention à l’action, savoir conduire ce type de projet, contourner les obstacles, ce n’est pas inné. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons créé un programme appelé Innov’ Inside pour les former et les accompagner dans la conduite du changement.

Quelles sont les attentes particulières des nouvelles générations ?
Pour les millennials, l’engagement et le sens sont des aspects très importants de la vie professionnelle. Historiquement, dans notre métier, nous avons une organisation très hiérarchisée, très top-down. Cela entre en collision avec l’arrivée des jeunes générations qui sont plus pour l’entreprise libérée, le leadership partagé. Nous savons que les grandes innovations proviennent souvent de la diversité. Nous essayons donc d’être plus dans l’écoute et la collaboration avec ces jeunes, certes moins expérimentés mais qui ont un regard neuf.

 

Nous travaillons beaucoup sur la transformation managériale. Nous créons des évènements afin de casser les silos en mettant en connexion avec du reverse mentoring ou les réseaux sociaux, des gens ayant des activités totalement différentes. Il est essentiel de sensibiliser les futurs associés à être les pionniers du changement afin de servir de modèle aux plus jeunes.
Nous avons également fait un gros travail sur l’aménagement de nos bureaux, avec notamment des espaces partagés où les grades sont mélangés. Au départ les managers étaient assez réfractaires mais ils se sont finalement rendus compte qu’ils comprennent mieux les problématiques de leurs collaborateurs ainsi.

Comment mesurer concrètement ces initiatives ?
Il est encore un peu tôt pour mesurer ces initiatives mais je peux vous parler de ce qu’on a commencé à déployer. On s’est rendu compte que l’on ne pouvait pas révolutionner le monde de l’entreprise seuls dans notre coin. Toutes les initiatives en termes de politique RH ont été co-construites, et parfois même, sont à l’initiative de collaborateurs impliqués tout le long de la chaîne.
Pour faciliter ce type d’initiatives, nous avons créé un incubateur interne via deux programmes phares. Le premier, BIM (la Boîte à Idées Mazars), est une application digitale qui permet de publier des idées à propos du bien-être au travail, de la notoriété ou des outils métier. Les collaborateurs votent et tous les quatre mois, les idées qui remportent le plus de votes sont coachées pendant un mois par des externes pour professionnaliser le projet. Il faut ensuite passer devant un jury et les idées retenues sont incubées. Les porteurs du projet peuvent développer leur projet sur leur temps de travail avec une enveloppe budgétaire et un lieu dédié. Nous étudions d’ailleurs des pistes pour prendre des places dans les lieux de coworking afin que nos collaborateurs soient en immersion avec des start-up afin de gagner en agilité.
La deuxième initiative, Mazars Shake, vise à créer, avec des coachs externes, des challenges de l’innovation et/ou hackathons sur 48 heures, ouverts à tous en interne. La première édition portait sur l’industrialisation de l’audit. Il en est ressorti des propositions d’innovation sélectionnées par le top management qui vont rejoindre notre incubateur. Notre top management s’est donc engagé sur du temps et des budgets dédiés. Ma mission est de faire que cela ne reste pas un effet de mode mais que les projets se concrétisent réellement. Nous allons également travailler avec les incubateurs des écoles, ce qui nous permettra aussi de travailler d’une nouvelle manière notre marque-employeur et nos relations école.

Pour finir, au sein du programme Innov’Inside, il y a tout un volet formation et happening afin de distiller une culture de l’ouverture. Nous faisons par exemple des TEDxLunch : nous projetons sur un grand écran un talk TED qui permet ensuite des échanges animés par des facilitateurs, qui sont formés aux techniques de brainstorming. Nous rencontrons aussi d’autres entreprises au cours de Learning Expeditions pour provoquer l’échange et l’émulation. Au mois de juin, Criteo nous a accueillis et nous avons passé un moment à échanger avec leur RH et leur chef de l’innovation à propos de nos idées.
Nous avons des Senior Managers qui sont fiers de leur entreprise et qui veulent entreprendre pour Mazars. Ils ont conscience qu’ils doivent réinventer leur métier car il évolue considérablement. Nous partons notamment en séminaire deux jours avec eux sur le thème « Inventons notre métier chez Mazars ». Nous voulons les aider à construire leur projet professionnel. Notre rôle est de les rassurer afin qu’ils abordent le changement étape par étape. On doit aussi leur apprendre à dédramatiser l’échec, car c’est en échouant aussi qu’on apprend !

 

Comment ce besoin d’innovation impacte-t-il votre recrutement ?
On se rend compte qu’aujourd’hui, à force de recruter des étudiants issus des mêmes écoles et de chercher un modèle de collaborateur précis, nous finissons par avoir des profils un peu formatés. De plus, notre métier consiste globalement à faire appliquer des règles. Ainsi, on peut éprouver des difficultés à identifier des collaborateurs qui veulent être acteurs du changement. Nous essayons aujourd’hui d’être beaucoup plus ouverts dans le recrutement, quitte à accepter des profils plus atypiques. Nous travaillons pour savoir comment nous allons pouvoir cartographier les compétences de façon dynamique et agile à travers la France. Il faut les redéfinir afin de recruter des profils qui pourront agir de façon transverse dans l’entreprise.

Vos projets d’innovation impactent-ils aussi la gestion des carrières ?
Au-delà du recrutement, c’est vrai qu’il y a le sujet de l’évaluation des compétences. C’est pour cela que nous pensons profondément que ces projets d’innovation doivent être pilotés par les RH.
Nous avons aujourd’hui un problème avec le feed-back car il est assimilé à l’évaluation et donc à la sanction, alors que cela devrait être quelque chose qui permet le développement et qui devrait se faire au quotidien. Nous réfléchissons à de nouvelles solutions pour modifier les évaluations annuelles. Nous avançons avec l’EDHEC qui a un programme d’open-innovation sur la question de la cartographie des compétences en temps réel, comment animer cette cartographie, comment le collaborateur peut se faire évaluer par ses pairs afin d’encourager ce feed-back continu.

C’est un chantier complexe qui vient percuter notre système actuel. Nous fonctionnons à la méritocratie avec un système très transparent de rating. Cela a un avantage puisque notre grille est publique : homme ou femme, un rating donne une rémunération. Si demain il n’y a plus ce système, comment les collaborateurs vont-ils pouvoir percevoir cette transparence et cette équité en termes d’attribution des rémunérations ? Cela sera un vrai sujet. Malgré les difficultés, nous avançons en développant et en valorisant les idées. Nous résoudrons les problèmes quand ils se présenteront. C’est notre vision de l’innovation.

 

« L’innovation pour @CozMathilde : avancer en développant et en valorisant les idées »
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